Le monde de la santé ivoirien s’est bruyamment illustré entre le 05 et le 10 novembre dernier à travers la grève du groupement syndical Coordisanté. Le pronostic vital des populations étant viscéralement lié aux effets dudit mouvement de débrayage, les partenaires sociaux ont conclu de faire baisser ‘’la fièvre’’. Mais il faut bien aller au-delà de ce médicament de confort.
Pour comprendre l’urgence, il convient de savoir qui est Coordisanté ? Il s’agit de douze syndicats formant les parties du corps médical : médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes non enseignants, sages-femmes, ingénieurs de santé, techniciens supérieurs de santé, aides-soignants, agents d’hygiène, personnel administratif, ex-agents déflatés du secteur de la santé. En gros, une grève de Coordisanté sans service minimum revient à dire que tous les centres de santé publics sont fermés. Imaginez des hôpitaux où l’on ne trouvera que des vigiles et du matériel médical abandonné.
Un jour de grève peut avoir des conséquences pires que celles de la crise post-électorale de 2010 !
La Côte d’Ivoire est couverte par 1967 établissements sanitaires de premiers contacts (Espc), dont 1237 centres de santé ruraux, 514 centres de santé urbains dont 25 à base communautaires, 127 centres de santé urbains spécialisés, 32 formations sanitaires urbaines dont 15 à base communautaire. Et au niveau recours 1ère référence, nous avons 68 Hôpitaux Généraux, 17 Centres Hospitaliers Régionaux, 2 Centres Hospitaliers Spécialisés (Hôpitaux psychiatriques de Bingerville et de Bouaké). Puis concernant le 3ème palier (structures sanitaires de recours pour la 2ème référence, se trouvent les établissements Publics Nationaux (Epn) avec 5 Centres Hospitaliers Universitaires, 4 Instituts Nationaux Spécialisés : Institut National de Santé Publique (Insp), Institut National d’Hygiène Publique (Inhp), Institut Raoul Follereau (Irf), Institut de Cardiologie d’Abidjan (Ica). Arithmétiquement, cela donne 2063 sites ayant pour vocation de retenir le souffle de vie de la personne humaine. En d’autres mots, des lieux où l’on espère soigner ou sauver des personnes.
Ceci est impossible. Mais dans la théorie de n’avoir que 2 patients par site, on dénombrera 4126 individus exposés à la mort. Et si par ‘’malheur’’ les syndiqués de Coordisanté décidaient de débrayer sans service minimum , en 24 heures nos morgues accueilleront 4,126 nouveaux locataires. Soit 1126 disparitions de plus comparativement aux victimes de la crise post-électorale estimées selon ses acteurs à 3000. Encore que ces chiffres constituent le bilan d’environs 3 mois de tueries.
D’où l’impérativité d’éviter ce genre de situation. Surtout quand on sait que nos hôpitaux sont débordés. Évidement ceux qui se soignent en clinique ou carrément loin des frontières ivoiriennes, n’auront pas les mêmes frissons.
Pourtant la cause du ‘’mal’’ est connue et les ‘’médicaments’’ existent
Selon le procès-verbal d’accord intervenu entre le Cabinet du Ministre de la Santé et de l’Hygiène Publique ( Mshp) et Coordisanté depuis le 03 août 2018 et dont nous avons reçu copie, 14 décisions « concrètes » étaient soumises à exécution. Parmi celles-ci, 6 engagements de plaidoyer du ministre Aka Aouélé auprès du gouvernement ivoirien.
Le fait est qu’à la lumière du processus, seuls 5 points ont été satisfaits selon les conclusions d’une Assemblée générale (Ag) de la plateforme desdits syndicats. Alors que visiblement les points d’achoppement n’exigent pas un travail herculéen pour être levés.
Figurez-vous que Coordisanté ne demande que ceci : (i) prendre une note circulaire devant permettre aux infirmiers, sages-femmes, responsables des établissements sanitaires de 1er contact, le budget de leurs structures tout en les impliquant dans son exécution ;(ii) valider les curricula de l’Infas en vue de l’ouverture des cycles de formation au système Lmd ; (iii) organiser un atelier de consensus sur la révision de l’arrêté interministériel prenant en compte la revalorisation de la prime d’intéressement annuel avec paiement par trimestre.
Aussi, (iv) organiser un atelier de renforcement des capacités des acteurs sur les prestations du Cmu ; (v) finaliser l’avant-projet de loi portant création de l’ordre national des infirmiers de Côte d’Ivoire en vue de son adoption ; (vi) approfondir l’argumentaire sur le dossier du recrutement des 860 agents ex-déflatés de 1988.
Enfin, il s’agit de (vii) mettre en place un comité bipartite de suivi de l’exécution des accords, (viii) instaurer un cadre de dialogue permanent entre le Mshp et les partenaires sociaux, mettre en place un cadre similaire mshp-Coordisanté, (ix) la prise en compte de tous les points de revendication à caractère financier ( exemple passer de 100 à 150 pts d’indice).
Faut-il choisir entre l’argent et la vie ?
Sans doute ce qui fâche le plus concerne les éléments relatifs aux finances. Mais cette Côte d’Ivoire qui compile les lauriers de performances économiques ne devait pas avoir des raisons de ne pas satisfaire ces revendications tout à fait justifiées. D’ailleurs est-il décent de choisir entre l’argent et la vie ? La croissance économique ivoirienne qui dit-on fait tant pâlir d’envie au point d’étonner le monde reste-elle sur papier ?
Si non, alors il faudra quitter la logique de l’aménagement cosmétique, cesser de prescrire les médicaments de confort pour soigner une bonne fois pour toutes. Nous avons échangé avec des syndiqués qui disent reconnaitre les efforts de leur ministre. En occurrence Dr. Aka Aouélé. Autrement dit dans cette affaire, le ministre de tutelle n’a pas rien fait. Mais selon nos interlocuteurs, le blocage se trouve au niveau de la Fonction publique sinon du gouvernement lui-même. Alors chers membres du gouvernement prière de sauver des vies, la personne humaine est sacrée !
Marius Aka Fils